
Exposition personnelle du 1er au 30 avril à la galerie Le Salon H
Extrasystoles
C’est au filtre de cette anomalie (cardiaque), qu’il faut regarder les photographies de Lara Micheli et ressentir ce qu’elles nous livrent.
Prises au Polaroid, ces images qui s’inscrivent dans la longue tradition de photographie de famille, semblent décliner des instantanés de bonheur. On y voit l’artiste, ses enfants, son conjoint ; la famille réduite à son expression nucléaire.
La lumière dorée, les surexpositions, les contours floutés, les ombres portées, renforcent ce sentiment élégiaque de temps suspendu. L’amour profond de la photographe pour son sujet est palpable et pourtant distancié du réel.
Lara Micheli maîtrise parfaitement les contraintes et les possibilités offertes par son appareil SX-70. Contraintes de lumières ou de cadrages, contraintes liées à l’impossibilité de retoucher les images, mais aussi aptitude à établir une connivence intime avec le modèle, et à piéger le spectateur dans un état de mélancolie intemporel. Une fois l’image prise, elle va la scanner et en faire des tirages à l’échelle qui lui semble juste, en conservant les imperfections.
Mais d’où vient alors le sentiment de tension grandissante, l’inquiétude qui progressivement se diffuse ? Certainement du fait que ces images ne sont pas uniquement l’expression esthétique d’un moment de félicité personnel (celui d’une femme, d’une épouse, d’une mère comblée) mais bien de la mise en lumière d’une préoccupation universelle.
Chacune des photographies de l’exposition entraîne une suspension, évoque une absence, et met le spectateur en état d’apnée. Il est amené à éprouver physiquement cette pause trop longue entre deux battements de cœur, et ce sentiment fulgurant que tout peut nous être ravi.
Philippe Zagouri
